Une rue comme tant d’autres, une rue tranquille, avec ses maisons serrées, ses garages alignés, ses portes qui s’ouvrent sur la vie des gens.
Je marche pour aller voir un vieil ami. Quelqu’un que j’ai connu il y a longtemps, à une époque où, étudiants, nous faisions tous les deux de la recherche en mathématiques. Nous n’avons à vrai dire jamais travaillé ensemble, mais quelque chose nous unissait.
Quand j’arrive près de chez lui, je vois qu’il manœuvre sa voiture. Ce n’est pas simple : il tourne, avance, recule, le gravier crisse sous les pneus. Finalement, il sort la voiture, puis la place dans un autre garage et… disparaît !
Je suis à peine surpris et je continue à marcher un peu plus loin dans la rue, et là je vois quelqu’un qui avance vers moi.
Un homme, un peu désœuvré, un peu perdu. Il a quelque chose d’un voyageur ou d’un sans-abri, vêtu d’un anorak. Ses traits me font penser aux peuples d’Amérique centrale ou du Sud : fins, un peu marqués, avec une profondeur dans le regard.
Nous nous croisons. Il cherche mon regard.
Il y a un petit moment d’hésitation, mais je m’arrête, je l’écoute.
Il se met à parler, beaucoup, sur sa situation, sur la difficulté de vivre ainsi. Ses mots coulent sans s’arrêter.
Alors je l’invite :
« Viens, marchons un peu »
Et nous nous baladons côte à côte dans cette rue Et il continue à parler.
Je prends un peu de recul et quelque chose change. Il hésite, baisse la voix et me confie que ce qui est le plus dur pour lui, c’est qu’il n’a plus accès à son chaman. Avant, il pouvait le voir, venir discuter avec lui, mais là, ce lien lui manque terriblement.
Je m’arrête.
Je le regarde.
C’est un moment suspendu.
Je lève ma main et, avec deux doigts, je touche doucement son front.
« Tu sais où il est le chaman ? »
Il m’observe, surpris. je touche à nouveau son front, en insistant un peu.
« Il est là. »
À cet instant, quelque chose de très fort se passe.
Ce n’est plus un homme en détresse en face de moi.
Il se redresse. Son visage s’ouvre.
Comme si, d’un coup, il se souvenait qu’il n’était jamais vraiment seul, que le chaman était en lui depuis toujours.
Nous restons là un moment.
Puis nous repartons chacun de notre côté, transformés.

Rue ordinaire
Entre garages, le gravier crisse.
Un homme parle, parle encore
Ses mots s’élèvent,
Le chaman veille
Revient à lui…